SSE #110: Le nitrate alimentaire : la nouvelle panacée?

Andrew M. Jones, PhD

POINTS IMPORTANTS

  • L’oxyde nitrique (NO) est d’une importance vitale en physiologie humaine, car il module de nombreux processus qui jouent un rôle essentiel dans la performance physique.
  • Des données récentes montrent que les nitrates inorganiques se trouvent en abondance dans les légumes verts feuillus et la betterave, et que son apport sous forme de supplément alimentaire peut favoriser la disponibilité du NO.
  • Des suppléments alimentaires contenant de 5 à 7 mmol de nitrate (environ 0,1 mmol/kg de masse corporelle) diminuent la pression artérielle au repos, réduisent la consommation d’oxygène lors d'un exercice sous-maximal (en améliorant l’efficacité musculaire) et peuvent améliorer la performance physique.
  • Ces effets physiologiques peuvent s’observer en aussi peu que trois heures après la consommation de nitrate et ils persistent pendant au moins 15 jours si on poursuit la supplémentation.
  • La dose « initiale » optimale en nitrate, les activités physiques et ceux pour qui la supplémentation en nitrate serait le plus efficace restent encore à déterminer.
  • En raison des risques pour la santé associés à la consommation de sels de nitrate, consommer plus de légumes riches en nitrate, comme du jus de betterave, est recommandé aux athlètes qui désirent évaluer le potentiel ergogénique des suppléments de nitrate.

INTRODUCTION

L’oxyde nitrique (NO) est une importante molécule de signalisation physiologique qui peut moduler la fonction des muscles squelettiques en jouant son rôle dans la régulation du débit sanguin, de la contractilité musculaire, de l’homéostase du glucose et du calcium, de la respiration mitochondriale et de la biogenèse. Jusqu’à tout récemment, on pensait que le NO était produit uniquement par l’oxydation de l’acide aminé L-arginine au cours d’une réaction catalysée par l’oxyde nitrique synthase (ONS) et que le nitrite (NO2-) et le nitrate (NO3-) étaient des produits secondaires de cette réaction. Toutefois, il apparaît clairement à présent que ces métabolites peuvent de nouveau être recyclés en NO bioactif. 



Figure 1 : Lien entre l’oxyde nitrique (NO), le nitrite (NO<sub>2</sub>-) et le nitrate (NO<sub>3</sub>-). (ONS, oxyde nitrique synthase)

Figure 1 : Lien entre l’oxyde nitrique (NO), le nitrite (NO2-) et le nitrate (NO3-). (ONS, l’oxyde nitrique synthase)

dans certaines conditions physiologiques. La réduction du NO3- en NO2- puis de NO2- en NO constitue sans doute un moyen important pour augmenter la production de NO quand sa synthèse par l’enzyme ONS diminue et que les concentrations de O2 sont faibles, comme ce serait le cas dans les muscles squelettiques pendant l’exercice.

Il est maintenant reconnu que l’alimentation peut augmenter les concentrations de nitrate et de nitrite dans les tissus. Les légumes verts feuillus comme la laitue, les épinards, la roquette, le céleri et la betterave sont particulièrement riches en nitrate. Les suppléments alimentaires de nitrate représentent donc un moyen pratique pour augmenter la concentration de NO2 dans la circulation sanguine et, par conséquent, la biodisponibilité de nitrate. Ce résultat a été obtenu après l’ingestion de sels de nitrate, comme le nitrate de sodium (Larsen et coll., 2007, 2010), de même qu’après l’ingestion de jus de betterave riche en nitrate (Bailey et coll., 2009, 2010; Vanhatalo et coll., 2010; Webb et coll., 2008). La concentration de [NO2-] dans le sang peut aussi augmenter avec une alimentation plus élevée en légumes entiers riches en nitrate, mais la teneur en nitrate varie en fonction du temps de l’année et de l'état des sols de culture et des conditions d'entreposage. En raison de l’importance du nitrate dans le contrôle vasculaire et métabolique, il existe de solides raisons théoriques expliquant qu’une augmentation de sa biodisponibilité pourrait jouer un rôle important dans l’optimisation du rendement des muscles squelettiques pendant l’exercice. De fait, de récentes données indiquent que l’augmentation des concentrations de [NO2-] par des suppléments alimentaires de nitrate est associée à une plus grande efficacité musculaire, une plus grande résistance à la fatigue et une meilleure endurance.

BILAN DE LA RECHERCHE

Le nitrate et l’exercice Larsen et coll. (2007) ont observé qu’une supplémentation de nitrate de sodium pendant trois jours augmente la concentration de [NO2-] dans le sang et réduit la consommation d’O2 lors d’exercices sous maximaux. Ce sont des résultats étonnants, car il est bien établi que la consommation d’O2, lors d’un effort d'intensité sous-maximale donné, est très prévisible. Par exemple, lors d'un exercice sur ergocycle, la consommation d'oxygène (VO2) devrait augmenter d’environ 10 ml par minute pour chaque Watt de puissance supplémentaire produit (autrement dit, le « gain » fonctionnel est d’environ 10 ml/min/W). Les résultats de l’étude de Larsen et coll. (2007) sont d'un intérêt majeur, car ils indiquent qu’une intervention à court terme sur l’alimentation peut améliorer l’efficacité de l’exercice, à savoir réduire la quantité d’énergie nécessaire pour faire un exercice de même intensité et possiblement augmenter la performance.

Les résultats de Larsen et coll. (2007) ont été corroborés par ceux l’étude de Bailey et coll. (2009) dans laquelle le nitrate était administré sous forme de jus de betterave. Après trois jours de supplémentation en jus de betterave (0,5 l/jour), le taux de [NO2-] dans le sang avait doublé, la valeur de la VO2 à l’état d’équilibre avait été réduite dans un exercice d’intensité modérée (Figure 2), tandis que la « composante lente » de la VO2 avait été atténuée pendant un exercice d’intensité très élevée. Ces résultats indiquent qu’à court terme l'ajout de produits naturels dans l'alimentation améliore l’efficacité du travail musculaire.
VO2 (ml/min/W)
Figure 2 : Diminution de l'apport en O2 pendant un exercice de 6 minutes sur ergocycle après consommation de suppléments de nitrate (cercles pleins) ou un placebo (cercles blancs).

La diminution de la VO2 à l’état d’équilibre après une supplémentation en nitrate était de l’ordre de 5 % dans les études de Larsen et coll. (2007) et de Bailey et coll., (2009) dans laquelle la supplémentation s’est poursuivie pendant 3 à 6 jours. Une diminution comparable de la VO2 à l’état d’équilibre a été observée lors d’un exercice d’intensité modérée sur ergocycle après une forte supplémentation en nitrate. Vanhatalo et coll. (2010) ont signalé une diminution considérable de la VO2 à l’état d’équilibre seulement 2,5 heures après l'ingestion de jus de betterave, un effet qui a persisté pendant 15 jours en maintenant la supplémentation (Figure 3). Il importe de souligner que l’apport habituel en nitrate alimentaire n’était pas limité; pourtant, la pression artérielle au repos et la VO2 à l’état d’équilibre ont quand même diminué de façon significative. La diminution de la VO2 après un apport en nitrate n’est pas exclusive à l'ergocycle; elle a aussi été observée lors d'un exercice d'extension des deux genoux (Bailey et coll., 2010) et de séances de marche et de course sur tapis roulant (Lansley et coll., 2011a). Fait important, aucune diminution de la VO2 n'a été observée lors de la comparaison avec un groupe témoin ayant reçu un placebo de jus de betterave dont le nitrate avait été retiré au moyen d’une résine échangeuse d’ions (Lansley et coll., 2011a). Ce résultat vient confirmer que le nitrate est le principal ingrédient « actif » responsable des changements physiologiques observés après une supplémentation au jus de betterave. En revanche, il n’exclut pas le rôle synergique que peuvent jouer d’autres constituants du jus de betterave, comme les antioxydants, qui pourraient favoriser la réduction du nitrate en nitrite, puis en oxyde nitrique. Ensemble, ces résultats montrent que la diminution de la VO2 après une supplémentation en nitrate est reproductible et observée avec différents régimes de supplémentation alimentaire et toute une gamme d'exercices.

Lien entre l’oxyde nitrique (NO), le nitrite (NO2-) et le nitrate (NO3-). (ONS, oxyde nitrique synthase)
Figure 3 : Diminution du « gain » dans l'apport d’O&lsquo;2&rsquo; après une supplémentation en nitrate (cercles pleins) par rapport au placebo (cercles blancs) et au groupe de référence ne recevant pas de supplément (GR, cercle gris). À noter que le gain est réduit d’environ 10 à 9 ml/min/W après une forte supplémentation en nitrate (après 2,5 heures) et que cet effet persiste pendant 15 jours si la supplémentation est maintenue.

PERFORMANCE PHYSIQUE

Il a récemment été déterminé que le taux de [NO2-] dans le sang est un facteur de corrélation important dans la tolérance à l’effort chez des sujets humains en santé (Dreissigacker et coll., 2010; Rassaf et coll., 2007). La supplémentation en NO3- augmentant le taux de [NO2-] dans le sang, cette intervention pourrait permettre d'améliorer la tolérance à l’effort. Cette hypothèse a été vérifiée par l’étude de Bailey et coll. (2009). Le taux de [NO2-] dans le sang a doublé et la tolérance à un effort d’intensité élevée s’est améliorée de 16 % après l’ingestion de jus de betterave riche en NO3-. D’autres essais ont par la suite rapporté des améliorations de 25 % dans la tolérance à l’effort lors d’un exercice d’extension des deux genoux (Bailey et coll., 2010), et de 15 % lors d’une séance de course sur tapis roulant (Lansley et coll., 2011a), après 6 jours de supplémentation au jus de betterave. Une amélioration progressive de la performance a aussi été observée après 6 jours de supplémentation au jus de betterave lors d’un exercice d’extension d’un seul genou (Lansley et coll., 2011a) et après 15 jours du même supplément lors d’un exercice sur ergocycle (Vanhatalo et coll., 2010).

Il est bien établi que la performance physique est amoindrie dans un environnement hypoxique comparativement à un environnement normoxique (21 % O2 : niveau de la mer). À cet égard, il convient de noter que Vanhatalo et coll. (2011) ont observé que les suppléments de nitrate contenus dans le jus de betterave ont rétabli la performance musculaire dans un environnement hypoxique (respiration d’O2 à 14 % équivalant à une altitude d’environ 4 000 mètres ou environ 13 000 pieds) par rapport aux conditions de référence normoxiques. Plus précisément, en hypoxie, les suppléments de nitrate ont prolongé de 20 % la durée jusqu’à l’épuisement lors d’un exercice d’extension des genoux à intensité élevée. Vanhatalo et coll. (2011) ont également constaté que la supplémentation en nitrate favorise la fonction oxydative des muscles en hypoxie, ce qui suggère que leur oxygénation pourrait s’être améliorée. Cette interprétation concorde avec l’étude de Kenjale et coll. (2011) selon laquelle la supplémentation de jus de betterave entraîne une augmentation de 17 à 18 % de la durée jusqu'à claudication et du temps de marche maximal pendant un exercice progressif chez les patients atteints de maladie artérielle périphérique. Les auteurs attribuent ces effets à une meilleure oxygénation des tissus périphériques due au NO2-. Ensemble, ces résultats révèlent son incidence possible sur la performance des athlètes qui participent à des compétitions en altitude ou sur l'amélioration de la capacité fonctionnelle en clinique dans les cas où l'approvisionnement des tissus en oxygène peut être insuffisant.

Comme le résume ce qui précède, lors d’un effort d'intensité élevée et à charge constante, l'amélioration de la tolérance à l’effort, à une puissance donnée, varie entre 16 et 25 % après une supplémentation en nitrate (Bailey et coll., 2009, 2010; Lansley et coll., 2011a). Toutefois, l'importance de cette amélioration dans les conditions « réelles » d'un exercice physique devrait être bien plus faible; en effet, selon les prédictions de Hopkins et coll. (1999), une amélioration d’environ 20 % de la durée jusqu’à l’épuisement devrait correspondre à une meilleure performance physique d’environ 1 à 2 % (temps requis pour parcourir une distance donnée). Cette hypothèse a été vérifiée par Lansley et coll. (2011b), qui ont mis à l’épreuve des cyclistes de la relève dans des compétitions chronométrées de 4,0 et de 16,1 km pendant deux jours différents après ingestion de fortes quantités de jus de betterave. Comme le prévoyait l’hypothèse de départ, comparativement au placebo, l’administration de nitrate a amélioré la performance d’environ 2,7 % lors des épreuves chronométrées de 4,0 et de 16,1 km (Lansley et coll., 2011b). Cette amélioration de performance est liée à la production moyenne d’énergie plus élevée et à une augmentation du rapport puissance produite/consommation d'oxygène. Par conséquent, les sujets entraînés ont pu produire davantage d’énergie pour le même volume d'oxygène renouvelée (ou, inversement, consommer moins d'oxygène pour produire la même énergie; Bailey et coll. 2009; Larsen et coll., 2007), ce qui représente une amélioration de la performance athlétique après une supplémentation en nitrate. Cermak et coll. (2012) ont également observé de meilleures performances dans les épreuves de cyclisme chronométrées après une supplémentation en nitrate. Après six jours de supplémentation au jus de betterave (8 mmol/jour), ils ont en effet observé une diminution significative du VO2 lors de deux exercices sous-maximaux, et une amélioration de 1,2 % de la production moyenne d’énergie, ainsi qu'une meilleure performance lors d'une course chronométrée de 10 km effectuée par des cyclistes entraînés.

En dépit des résultats positifs obtenus chez des athlètes &lsquo;de la relève&eacute;, il reste difficile de savoir si la supplémentation en nitrate peut améliorer la performance des athlètes du plus haut niveau. Une étude a montré que l’administration de quantités massives de nitrate de sodium n’a pas modifié de façon significative le VO2 sous-maximal ni la progression de la performance chez des athlètes d’endurance (Besc&oacute;s et coll., 2011). Cette contradiction apparente peut s'expliquer de plusieurs façons. Au repos, le taux de [NO3-] et de [NO2-] dans le sang sont plus élevés chez les athlètes (Jungersten et coll., 1997; Schena et coll., 2002), ce qui pourrait réduire l'effet d'une supplémentation en nitrate visant à améliorer leur efficacité et leur performance sportive. Par ailleurs, les athlètes très bien entraînés peuvent peut-être avoir besoin d'une dose plus forte de nitrate pour obtenir des changements comparables dans le sang [NO2-] et être plus performants que les personnes s'adonnant à des activités récréatives. Wilkerson et coll. (2012) ont observé qu'une forte supplémentation en nitrate n’a pas amélioré la performance d'un groupe de cyclistes bien entraînés lors d'une course chronométrée de 50 km, mais ils ont également noté une corrélation significative (r = -0,83) entre la hausse de [NO2-] dans le sang et l’amélioration de la performance au cours de cette épreuve chronométrée. À cet égard, la dose de nitrate (quantité et moment idéal de la consommation) peut s’avérer cruciale. Il faut également tenir compte du fait que des sujets très bien entraînés présentent probablement les caractéristiques suivantes : 1) un taux plus élevé d’oxyde nitrique synthase (ONS) de sorte que le mécanisme nitrate-nitrite-oxyde nitrique serait relativement moins important avant d'en arriver à NO; 2) une densité plus grande de mitochondries et de capillaires qui pourrait limiter le développement d'une hypoxie et d’une acidose dans les muscles squelettiques pendant l’exercice, préservant ainsi la fonction de l'ONS et diminuant le besoin d’effectuer la réduction du nitrite en oxyde nitrique. Il faut aussi signaler que des raisons méthodologiques peuvent rendre les améliorations éventuelles dans la performance des athlètes d'élite plus difficile à détecter. Vraisemblablement, l’augmentation de performance serait de &le; 1 %, et si un tel pourcentage peut être très significatif en compétition, il peut être difficile à reproduire en raison du bruit expérimental et des variations au jour le jour. D’autres études s’avèrent nécessaires pour bien comprendre les effets de la supplémentation en nitrate sur l’efficacité de l’exercice chez les athlètes.

MÉCANISMES

La réduction d’O2 lors d'un exercice après une supplémentation en nitrate n’est pas associée à un taux élevé de lactate dans le sang (Bailey et coll., 2009; Larsen et coll., 2007), ce qui indique que la production d’énergie anaérobique n’augmente pas en compensation comme on pourrait s'y attendre, si le métabolisme d’oxydation était inhibé d’une quelconque façon, ce qui indique que la supplémentation en nitrate entraîne une amélioration « réelle » de l’efficacité musculaire. En théorie, une plus faible consommation d’O2 lors d’un exercice produisant la même quantité d’énergie pourrait provenir entre autres : 1) d'une consommation moins élevée d’ATP après une contraction musculaire servant à produire la même force (autrement dit, une amélioration de l’efficacité de contraction des muscles); ou 2) une consommation moins élevée d’O2 pour la même vitesse de resynthèse d’ATP par oxydation (autrement dit, une plus grande efficacité des mitochondries).

Bailey et coll. (2010) ont étudié la première de ces possibilités au moyen de la spectroscopie par résonance magnétique du phosphore 31 étalonné (SRM P31). Cette méthode permet de mesurer in vivo dans les muscles les variations de concentrations absolues de phosphocréatine ([PC]), de phosphate inorganique ([Pi]) et d’adénosine diphosphate ([ADP]), de même que le pH. Les auteurs ont également mesuré les réserves d’ATP fournies par l’hydrolyse de la PC, la glycolyse anaérobie et la phosphorylation oxydative lors d'un exercice d’extension des genoux. La vitesse estimée du renouvellement de l’ATP à partir de l’hydrolyse de la PC et de la phosphorylation oxydative était plus faible après six jours de supplémentation en jus de betterave, tandis que la même vitesse à partir de la glycolyse anaérobique ne variait pas, de telle sorte qu’on a observé une diminution significative de la vitesse du renouvellement de l'ATP totale prévue pendant les exercices de faible et de haute intensité (Bailey et coll., 2010). Il est reconnu que la vitesse de renouvellement de l’ATP dans les cellules des muscles en contraction dépend surtout de l’activité de l'actomyosine ATPase et de l’ATPase du Ca2+. Il a été montré que le NO ralentit la cinétique du cycle de la myosine (Evangelista et coll., 2010) et diminue l’activité de l’ATPase du Ca2+ (Ishii et coll., 1998). Ainsi, la production élevée de NO après une supplémentation en nitrate peut avoir diminué le renouvellement de l’ATP des muscles squelettiques en réduisant l’activité de l’actomyosine ATPase ou de l’ATPase du Ca2+ L’accumulation intramusculaire d’ADP et de Pi, et le degré de diminution de la PC, étaient atténuées après la supplémentation en nitrate (Bailey et coll., 2010). De plus faibles changements dans les concentrations d’[ADP], de [Pi] et de [PC] après une supplémentation en NO3- devraient diminuer les stimulus servant à augmenter la phosphorylation oxydative (Mahler, 1985).

L’accumulation de métabolites comme l’[ADP] et le [Pi] ainsi que la vitesse de diminution des réserves intramusculaires limitées de [PC] contribuent de façon importante au développement de la fatigue musculaire (Allen et coll., 2008). Dans l'étude de Bailey et coll. (2010), les concentrations d’[ADP], de [Pi] et de [PC] obtenues lors de l'épuisement étaient similaires après supplémentation en nitrate et placebo. Vanhatalo et coll. (2011) ont obtenu les mêmes résultats, mais il a fallu plus de temps pour obtenir des concentrations aussi importantes après la supplémentation en nitrate ce qui expliquerait en partie l’amélioration de la tolérance à l’effort. Il faut souligner que même si l’amélioration de l’efficacité musculaire et une diminution des perturbations métaboliques peuvent entraîner une plus grande tolérance à l’effort après une supplémentation en nitrate, il se peut que cette intervention améliore simultanément la disponibilité de O2 dans les muscles (Kenjale et coll., 2011; Vanhatalo et coll., 2011). Cela pourrait aussi atténuer la diminution de la PC dans les muscles et améliorer la performance physique.

La deuxième possibilité est que la supplémentation en nitrate améliore l’efficacité des mitochondries, ce qui a été l'objet de l’étude de Larsen et coll. (2011). Ils ont extrait des mitochondries du muscle vaste externe chez des sujets humains en santé ayant reçu des suppléments de nitrate de sodium. Ils ont conclu que la supplémentation en nitrate réduit la fuite de protons et le couplage respiratoire, ce qui augmente le rapport P/O des mitochondries (la quantité d’ATP produite par unité d’oxygène produite ou consommé). Fait important à noter, ce rapport P/O plus élevé après une supplémentation en nitrate est proportionnel à la diminution de VO2 dans tout l’organisme pendant l’exercice (Larsen et coll., 2011). Il semble donc que la supplémentation en nitrate améliore l’efficacité de l’exercice en améliorant à la fois l’efficacité de la contraction musculaire (moins grande consommation d’ATP dans la production d’énergie) et de la phosphorylation oxydative des mitochondries (rapport P/O plus élevé).

APPLICATIONS PRATIQUES

  • Des suppléments alimentaires contenant de 5 à 7 mmol de nitrate (environ 0,1 mmol/kg de masse corporelle) entraînent une augmentation significative de [NO2-] dans le sang ainsi que des certains effets physiologiques, dont une pression artérielle plus faible au repos, une consommation réduite d’O2 lors d’exercices sous-maximaux et, sans doute, une amélioration de la tolérance à l’effort ou de la performance. Une telle « dose » de nitrate peut être obtenue en buvant 0,5 litre de jus de betterave ou un produit alimentaire équivalent riche en nitrate.
  • Après l’absorption de 5 à 6 mmol d’un « bolus » de nitrate, la concentration de [NO2-] dans le sang s’élève normalement en 2 à 3 heures et reste élevée pendant un autre 6 à 8 heures pour finalement revenir à sa valeur de départ après 24 heures (Webb et coll., 2008). Il est recommandé de consommer des nitrates environ 3 heures avant une compétition ou un entraînement. Pour pouvoir maintenir un taux élevé de [NO2-] dans le sang, il faut prendre des suppléments de nitrate tous les jours.
  • Comme la plupart des études publiées jusqu’à maintenant ont recruté des sportifs amateurs ou ayant suivi un entraînement moyen, il est difficile de savoir si la supplémentation en nitrate entraîne une augmentation importante de [NO2-] dans le sang ou a un effet ergogène chez les athlètes d'élite.
  • Si une supplémentation de 5 à 6 mmol de nitrate semble efficace, il n'en reste pas moins que les études continuent de chercher si la relation « dose-effet » entre une supplémentation en nitrate et les changements dans l’efficacité de l’exercice ou la performance. Leurs résultats nous fourniront de nouvelles données sur la dose d’attaque « optimale » pour améliorer la performance.
  • Si la supplémentation en nitrate semble avoir un effet ergogène lors d'une activité physique continue à intensité maximale pendant 5 à 25 minutes, il reste que les effets possibles sur la performance d'un exercice de courte durée à intensité élevée, d'un exercice intermittent ou d'un exercice d’endurance d'une durée prolongée n’ont pas été établis.
  • Jusqu'à présent, il n'a pas été clairement démontré qu'une supplémentation continue en nitrate puisse avoir une incidence sur les adaptations physiologiques à l’exercice : d’une part, une plus grande biodisponibilité de NO pourrait stimuler la biogenèse des mitochondries et des capillaires et, d’autre part, les propriétés antioxydantes des nitrates pourraient éventuellement atténuer l'adaptation au niveau cellulaire.
  • À travers l'histoire, le nitrate alimentaire ou l’exposition alimentaire au nitrate étaient réputés nuisibles à la santé humaine en raison d'un risque plus élevé de cancers gastriques. Des données plus récentes remettent en cause ce point de vue et suggèrent plutôt que le nitrate alimentaire aurait des effets bénéfiques sur la santé (Gilchrist et coll., 2010). Jusqu'à plus ample informé, il est recommandé aux athlètes qui veulent évaluer le potentiel ergogène des suppléments de nitrate, d’utiliser une approche naturelle (jus de betterave, légumes feuillus) plutôt qu’une approche pharmacologique.

RÉSUMÉ

Le nitrate alimentaire semble tenir ses promesses comme moyen naturel pour augmenter la biodisponibilité en NO. La production de NO par l’oxydation de L-arginine, dans une réaction catalysée par l’enzyme oxyde nitrique synthase (ONS), s’atténue avec l’âge, en fonction de plusieurs problèmes de santé et dans les tissus hypoxiques. La réduction non oxygénodépendante de nitrite en nitrate peut, par voie de conséquence, représenter un système « d'appoint » essentiel pour produire du NO dans les cas où l’ONS pourrait ne pas fonctionner. Des suppléments alimentaires de nitrate diminuent la pression artérielle au repos et peuvent par conséquent s’avérer importants pour favoriser et maintenir la santé cardiovasculaire. Il est maintenant clairement établi qu'une supplémentation régulière et massive en nitrate peut réduire la consommation d’oxygène lors d'un exercice sous-maximal. Cette amélioration de l’efficacité musculaire pourrait être liée à une consommation moins élevée d’énergie lors de la contraction musculaire ou à une plus grande efficacité des mitochondries dans la production d’ATP. Étant donné que l’efficacité musculaire constitue un facteur déterminant de la performance physique, le nitrate peut être considéré comme une aide ergogénique. En effet, selon plusieurs études, au moins pour les sportifs amateurs ou ayant suivi un entraînement moyen, les suppléments de nitrate peuvent augmenter la tolérance à l’effort et améliorer la performance dans les épreuves chronométrées. Toutefois, d’autres études s’avèrent nécessaires avant de pouvoir comprendre entièrement les effets positifs des suppléments de nitrate sur la performance lors de différents types d’activité physique et chez certains groupes humains.

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